Les suppressions de postes d’aiguillage, ou comment SNCF Réseau empêche tout développement de la desserte des « petites lignes »

La France compte de nombreuses lignes ferroviaires à voie unique où, pour pouvoir se croiser, les trains doivent disposer de points de croisement aussi appelés évitements et d’un poste d’aiguillage. S’ils sont « manuels » (ce qui est encore fréquemment le cas) ces postes nécessitent la présence d’un opérateur pour effectuer la manœuvre de croisement.

Au-delà de la capacité de la ligne, c’est aussi la fiabilité des horaires qui dépend étroitement de la possibilité d’activer des points de croisement. En cas de retard d’un train, la longueur du « canton » aux points de croisement voisins engendre des retards en cascade jusqu’en fin de journée, rendant les correspondances aléatoires.

Des suppressions un peu partout sur le territoire

Or, trop souvent, SNCF Réseau n’affecte plus d’agents à ces missions sans, pour autant, rendre ces postes d’aiguillage commandables à distance.

Dans les Alpes-Maritimes, à Breil-sur-Roya, la décision de fermer définitivement la gare et de supprimer le poste de chef de service a déstabilisé les permanences de présence au poste d’aiguillage, occasionnant dix mois de retards et annulations hebdomadaires de trains internationaux.

De son côté, la coordination d’associations « réseau ferroviaire breton » a dénombré dix de ces suppressions dans le territoire régional ces dernières années.

Sur l’axe Toulouse-Castres-Mazamet, itinéraire ferroviaire parallèle au projet d’autoroute A69, l’intervalle minimal entre chaque train est de 1h 05 mn et le manque d’aiguilleur à Damiatte, entre Castres et Toulouse, conduit souvent à annuler les renforts de service en heure de pointe. Les collectifs demandent un cadencement rapide à l’heure par la simple pose d’un aiguillage talonnable à Castres, puis à la demi-heure à moyen terme par la création d’un nouvel évitement ainsi que la réactivation de celui de Labruguière, entre Castres et Mazamet. Malheureusement le seul projet de la SNCF et du Conseil Régional au titre du Contrat de plan Etat – Région 2023-2028 est justement de déferrer ce dernier ainsi que celui de Vielmur-sur-Agout qui serait lui intéressant pour ajouter deux navettes qui amèneraient une fréquence au quart d’heure sur le bassin de mobilité de Castres.

Dans le département de la Loire, SNCF Réseau a supprimé un poste à Saint-Romain-du-Puy, sur la ligne Saint-Etienne – Boën, maillon restant de la ligne qui reliait Saint-Etienne à Thiers et au-delà à Clermont-Ferrand. La fermeture est d’autant plus dommageable que la vocation de la ligne, devenue uniquement périurbaine, exige une amélioration des fréquences, alors même que le trafic routier est en augmentation constante (aujourd’hui, 80 000 véhicules par jour à un nœud routier proche d’Andrézieu-Bouthon, soit environ 20 millions par an, à comparer aux 340 000 usagers annuels de la ligne de train). Forez Agir dénonce cette fermeture et les sommes consenties par le Conseil départemental pour développer les dessertes aéroportuaires : certes, cette institution n’est pas compétent pour le rail, mais c’est toujours de l’argent public, et les montants sont sans commune mesure avec le salaire mensuel d’un agent d’aiguillage, dont la suppression de poste relève de l’économie de bout de chandelle.

A Lamure sur Azergues, point de croisement sur la ligne qui relie Lyon et Paray-le-Monial. SNCF Réseau a supprimé le poste du matin en 2018, celui de l’après-midi en 2023, ce qui rend impossible le croisement de trains sur une distance de 96 kilomètres. Lors de la Commission du développement durable du Sénat, en date du 7 mai 2024, M. Fabien Genet, Sénateur (LR) de Saône-et-Loire, a interpellé le PDG de la SNCF à propos de ces fermetures et de leurs conséquences sur la qualité de la desserte ; ce faisant il a relayé la lutte de l’Association de développement de la ligne ferroviaire Paray-Lyon (Adelifpaly) contre ces suppressions.

Les Réponses de la SNCF… et leur signification

Dans sa réponse apportée le 9 octobre, M. Farandou estime que renseignement pris, « vu la desserte actuelle, on n’en a pas besoin [du poste d’aiguillage] ». Mais il s’abstient de signaler que la « desserte actuelle » est particulièrement minimaliste, avec quatre liaisons directes aller – retour entre Paray-le-Monial et Lyon ; au départ de Lyon, le premier départ de la journée se fait à Lyon à… 13 h 38 ; dans l’autre sens, le dernier départ de Paray-le-Monial se fait à 16 h 06, ce qui rend impossible un aller retour au départ de Lyon.

Il ajoute : « Bien sûr, si on veut augmenter la fréquence, là il faudra un poste de point de croisement supplémentaire ». Il renvoie la balle au Régions en évoquant « une perspective de développement qui pourrait être portée par les deux Régions »… un développement que la situation de référence, dégradée du fait de la suppression des postes, rendra plus difficile.

L’argument pourrait s’entendre si l’argument inverse n’était pas souvent utilisé, à savoir : on ne peut pas rajouter de trains car la ligne est saturée. Alors que cette saturation trouve son origine, en l’espèce, dans la désactivation de certains points de croisement.

Le PDG semble donc défendre une position équilibrée, « mi-alouette mi-cheval » selon l’expression consacrée. Mais cette politique fait en fait barrage à tout développement ultérieur de la desserte par les autorités régionales. SNCF Réseau condamne la ligne à ne voir passer qu’un nombre de trains très réduit, et, une fois de plus, perpétue le malthusianisme ferroviaire français.

Alors que, à plusieurs reprises au cours de son mandat, M. Farandou a affiché de grandes ambitions pour le rail, notamment un doublement de la part des déplacements, SNCF Réseau organise en fait, par des mesures d’apparence anodine, la perpétuation de son rôle marginal face à la route.

Un plan de modernisation en cours mais pour quelles lignes au juste ?

Le plan appelé NExT Regio, précisément destiné aux lignes à voie unique, prévoit la modernisation des évitements et aiguillages, notamment par l’automatisation et la centralisation des commandes. Des budgets sont même prévus comme en Auvergne Rhône Alpes, 500 millions d’euros. Mais pour quelles lignes ? L’opacité des circuits et des critères de décision transparaît ici encore et SNCF Réseau en effectuant ces choix va condamner toute une partie du réseau qu’elle n’estime pas digne d’accueillir ces améliorations puisque le discours en son sein est bien de supprimer les agents dans les postes d’aiguillages.

Les quelques problèmes relevés actuellement à Lamure-sur-Azergues, à Saint-Romain du Puy et ailleurs en France, les réponses louvoyantes de la SNCF dévoilent sa stratégie : mettre les élus, les Régions voire l’État devant le fait accompli.

Une vigilance renforcée est maintenant nécessaire. Alors qu’elle devrait être celle de l’État, ancien propriétaire du réseau ferré, et des régions, elle va surtout être effectuée, par manque de moyens, par les organisations de défense du rail. Eternels grains de sable qu’elles sont dans les rouages de la machine à broyer la mobilité du quotidien dans les zones rurales.

C’est bien d’ailleurs aux citoyens que revient cette responsabilité : veiller à ce que le réseau ferroviaire du quotidien, dans son entièreté, ne soit pas l’objet de nouvelles coupes et de nouvelles asphyxies mises en place malicieusement en supprimant les évitements par le gestionnaire du réseau.

Un lien vers Forez Agir , Adelifpaly et la Coordination Ferroviaire Bretonne que nous remercions chaleureusement pour leur collaboration.

Une « aiguilleuse » près de Birmingham en 1918. En France en 2025 bon nombre de postes d’aiguillage sont encore manuels, composés de leviers, de poulies et de câbles.